Le 19 novembre 2025, Bordeaux a accueilli la conférence européenne HENKO NET, consacrée à l’intelligence artificielle (IA) et aux soins palliatifs. Organisée par le Gérontopôle Nouvelle-Aquitaine et le CHU de Bordeaux, partenaires du projet HENKO NET (programme Interreg Sudoe), cette journée a réuni des experts venus de France, d’Espagne et du Portugal pour croiser leurs regards sur les enjeux, les défis et les perspectives de l’IA au service de l’accompagnement en fin de vie.
Ouverture de la conférence : partenaires, financeurs et ambitions européennes
La conférence HENKO NET s’est ouverte en présence de plusieurs personnalités institutionnelles, témoignant de l’engagement collectif autour de l’innovation en soins palliatifs. Philippe Nauche, vice-président de la Région Nouvelle-Aquitaine en charge de la santé et de la silver économie, a rappelé le soutien déterminant de la Région au projet : « La Région Nouvelle-Aquitaine est fière d’accompagner des initiatives qui placent l’humain et l’innovation au cœur de la santé, pour anticiper les besoins de demain et garantir l’équité sur tous les territoires. »
Raquel Losada, coordinatrice du projet HENKO NET pour la Fondation Intras (lead partner), a souligné l’ambition transnationale du consortium : « HENKO NET, c’est la volonté de construire ensemble une prise en charge intégrée, sociale et sanitaire, pour les personnes en soins palliatifs et en fin de vie, en s’appuyant sur la coopération, la co-construction et l’expérimentation de solutions numériques innovantes. »
Murielle Bouin, directrice du Gérontopôle Nouvelle-Aquitaine, et Gilles Duluc, directeur de la recherche clinique et de l’innovation au CHU de Bordeaux, ont également salué la mobilisation des partenaires français, espagnols et portugais, ainsi que la dynamique de la communauté HENKO NET, qui réunit plus de 120 participants issus de tous horizons.
La journée s’est ensuite structurée autour de quatre tables rondes réunissant des experts venus de France, d’Espagne et du Portugal, pour croiser leurs regards et partager leurs expériences.
Pour rappel, le programme détaillé de la conférence est disponible en téléchargement ici : Télécharger le programme de la journée.
Table ronde 1 : Enjeux et opportunités de l’IA pour les soins palliatifs
« L’intelligence artificielle ne doit pas remplacer la relation humaine, mais la renforcer en anticipant les besoins et en personnalisant l’accompagnement. » – Valérie Bergua, maître de conférences en psychogérontologie, Université de Bordeaux
Lors de cette première table ronde, Julien Carretier (Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie) a insisté sur le rôle de l’IA comme outil pour faciliter le droit à l’information des patients et de leurs proches, en particulier sur la fin de vie. Il a souligné que l’IA peut permettre de personnaliser les parcours d’information et de rendre les droits plus accessibles, tout en rappelant que rien ne doit se faire sans les usagers.
Puis, Amaia Robles Aranguiz (Station [E]-Santé, CHU de Bordeaux) a recentré le débat sur la soutenabilité des innovations, en insistant sur la nécessité que les solutions numériques répondent réellement aux besoins du terrain et soient évaluées sur leur capacité à s’intégrer durablement dans les pratiques. Elle a rappelé que l’innovation n’a de sens que si elle est utile, adaptée et acceptée par les professionnels comme par les patients.
Enfin, Fatima González Palau (Fondation Intras, Espagne) a présenté la méthodologie du projet HENKO NET, qui vise à répondre à la thématique de la journée : « de l’idée à la durabilité ». Elle a détaillé la démarche de co-construction, de l’identification des besoins à la mise en pratique, en passant par l’évaluation de l’impact réel sur le terrain.
L’ensemble des intervenants a convergé sur la nécessité de placer l’IA au service de l’humain, en complément de l’accompagnement psychologique et relationnel.
Table ronde 2 : Stratégies de déploiement de l’IA
« La structuration et la fiabilité des données sont le socle de toute innovation numérique en santé. » – Pr Gayo Diallo, professeur en information/santé numérique, Université de Bordeaux
La discussion s’est ensuite orientée vers les conditions de réussite du déploiement de l’IA en soins palliatifs. Pr Gayo Diallo a ouvert le débat en insistant sur la nécessité de disposer de données de qualité, structurées et harmonisées, pour permettre le développement d’outils d’IA fiables et utiles. Il a souligné l’importance de standards partagés et de l’interopérabilité entre systèmes, condition indispensable pour que les innovations puissent être déployées à grande échelle et bénéficier à tous les territoires.
Poursuivant sur cette lancée, Dr Jeremy Pasco (Centre Hospitalier Public du Cotentin) a illustré, à travers des exemples concrets, comment l’IA peut optimiser les protocoles de soins, faciliter l’identification précoce des situations complexes et accélérer la prise de décision médicale. Il a aussi expliqué qu’il est important que les résultats donnés par l’IA soient clairs, compréhensibles et qu’on puisse les vérifier facilement. Cela permet aux professionnels de santé de faire confiance aux recommandations proposées par les algorithmes.
Dans la foulée, Dr Vianney Jouhet (CHU de Bordeaux) a abordé les défis liés à l’interopérabilité des systèmes d’information en santé, insistant sur la nécessité de connecter les différents acteurs et outils pour fluidifier le partage de données et éviter les ruptures de parcours. Il a rappelé que l’intégration de l’IA doit s’accompagner d’une réflexion sur la séparation entre systèmes de soins et systèmes de recherche, notamment pour respecter le RGPD et garantir la sécurité des données.
Enfin, Pr Patrícia Coelho (École supérieure d’infirmières de Porto, Portugal) a mis l’accent sur l’importance de la formation et de l’accompagnement des équipes, condition sine qua non pour une adoption sereine et efficace des outils numériques. Elle a souligné que la transformation digitale des soins palliatifs repose sur une alliance entre expertise technique, adaptation organisationnelle et engagement humain.
Pour conclure, la table ronde a mis en avant que la réussite du déploiement de l’IA en soins palliatifs repose sur une approche globale : associer la qualité des données, l’interopérabilité, la confiance des professionnels et l’accompagnement humain pour garantir des innovations réellement utiles et partagées.
Table ronde 3 : Défis éthiques et organisationnels
« La protection des données et le consentement éclairé sont des piliers incontournables pour instaurer la confiance dans l’IA médicale. » – Brigitte Seroussi, professeure d’informatique biomédicale et de santé numérique, Sorbonne Université
Animée par Ambre Laplaud (Gérontopôle Nouvelle-Aquitaine), cette session a permis d’aborder les enjeux éthiques et organisationnels de l’IA en santé. Brigitte Seroussi a posé le cadre général en insistant sur l’importance d’intégrer l’éthique dès la conception des outils, notamment à travers la sécurité des données et le consentement éclairé.
C’est Pr Véronique Averous (CHU de Bordeaux, ERENA) qui a véritablement relié ces enjeux au contexte des soins palliatifs. Elle a élargi la réflexion à la philosophie du soin, rappelant que les soins palliatifs sont marqués par l’incertitude, la complexité et la singularité de chaque situation. Selon elle, l’IA ne doit jamais remplacer l’écoute, la confiance et la réflexion éthique qui fondent l’accompagnement : la technologie doit soutenir la relation soignant-patient, sans jamais l’appauvrir ni occulter la dimension humaine propre à la fin de vie. Elle a insisté sur le fait que l’IA, par sa logique algorithmique, ne laisse pas de place à l’incertain ou au doute : c’est précisément là que l’éthique doit intervenir, pour garantir que la technologie reste un soutien pour l’humain, et jamais une fin en soi.
María Jesús Goikoetxea Iturregui (Université de Deusto, Espagne) a complété ce panorama en soulignant la nécessité d’intégrer la bioéthique et la psychologie dans l’innovation, notamment pour accompagner les processus de fin de vie et de deuil.
Les intervenants ont ainsi appelé à une gouvernance éthique forte, garante de la confiance et de la qualité des soins.
Table ronde 4 : Politiques digitales et démocratie en santé
« La voix des patients doit être entendue dans la construction des outils numériques et des politiques de santé. » – Jean-François Cornet, élu régional France Assos Santé Nouvelle-Aquitaine
Cette dernière table ronde a permis de croiser les regards institutionnels, associatifs et territoriaux sur la place de l’IA dans la démocratie sanitaire et l’équité d’accès aux soins palliatifs. Caroline Receveur (ESEA) a ouvert la discussion en présentant les enjeux de la téléexpertise et de l’innovation dans les politiques publiques, soulignant le rôle des outils numériques pour rapprocher les expertises et améliorer la coordination des acteurs sur le terrain.
La réflexion s’est poursuivie avec l’intervention du Dr Julián Illana (Services de Santé de la région d’Aragon, Espagne), qui a montré que l’interopérabilité des outils numériques est un levier clé pour garantir l’équité dans l’accès aux soins palliatifs, que ce soit entre régions ou au sein d’une même région. Selon lui, harmoniser les systèmes et faciliter la circulation de l’information sont essentiels pour assurer une prise en charge continue et de qualité pour tous.
Dans la continuité, Jean-François Cornet (France Assos Santé Nouvelle-Aquitaine) a défendu la place des usagers et l’expression citoyenne dans la démocratie sanitaire. Il a insisté sur la nécessité d’associer les patients et leurs proches à la construction des politiques de santé et au développement des outils numériques, afin que ceux-ci répondent réellement aux besoins du terrain et favorisent l’autonomie des personnes accompagnées.
Enfin, Laurence de Peyrelongue (CAPalliatif Nouvelle-Aquitaine) a souligné l’importance de l’animation régionale et de l’accompagnement des équipes pour garantir la diffusion des innovations et leur appropriation par les professionnels. Elle a rappelé que la réussite de la transformation numérique passe par une démarche collective, impliquant tous les acteurs du territoire, et par un soutien constant aux équipes de soins.
En conclusion, cette table ronde a mis en avant la nécessité d’une convergence entre acteurs institutionnels, professionnels et usagers : seule une démarche participative et collaborative permettra de construire une intelligence artificielle réellement au service de la démocratie en santé, de l’équité et de la qualité des soins palliatifs.
Cette journée a rappelé que, face à la complexité de la fin de vie, la technologie ne peut être qu’un appui, jamais une réponse en soi. L’IA peut éclairer, anticiper, structurer. Le soin, lui, repose sur la rencontre, la confiance et l’attention à l’autre. Entre ces deux dynamiques, les intervenants ont tracé un chemin commun : celui d’une innovation humble, construite avec et pour les usagers, et guidée par l’exigence éthique. C’est à cette condition que l’intelligence artificielle pourra devenir un véritable soutien aux équipes et aux patients, et non une simple prouesse technique.
Ateliers transnationaux de co-construction
Au fil de ses ateliers, de Valladolid à Bordeaux en passant par Bilbao et Limoges, le projet HENKO NET a fait de l’intelligence artificielle un levier d’innovation partagée pour les soins palliatifs en Europe. Chaque rencontre a permis d’explorer, selon les contextes, la réalité virtuelle pour le bien-être en fin de vie, l’apport des outils numériques dans la communauté ou la transformation du parcours patient.
Ce parcours se prolonge le 10 décembre avec un workshop en ligne dédié à l’évaluation de la complexité en situation palliative.
À propos de HENKO NET
Le projet HENKO NET, soutenu par le programme Interreg Sudoe, vise à développer des solutions innovantes et durables pour l’intégration de l’intelligence artificielle dans les soins palliatifs, en favorisant la coopération transnationale, l’éthique et la participation des usagers.
Pour en savoir plus sur HENKO NET, ses objectifs et ses partenaires, consultez la page officielle du projet : HENKO NET – Interreg Sudoe